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Anaïs Lelièvre et l'Erika, du blanc et du noir sur la palette de l'artiste

11 ans jour pour jour après que le vomi mazouté de l’Erika a éteint tous les lampions colorés du passage au nouveau millénaire, le travail effectué récemment par Anaïs Lelièvre sur la commune ravive le souvenir de la catastrophe. Cette étudiante, aux racines croisicaises, prépare un doctorat en arts plastiques à Paris-Sorbonne. Pendant une semaine, elle s’est mise en quête de témoignages, recueillis au hasard des rencontres, et pris de nombreuses photos. Son but : composer une oeuvre d’art sur la marée noire, en posant cette question : « Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? »

C’est une véritable démarche d’enquêteuse qu’Anaïs Lelièvre vient d’effectuer. Mais pour la jeune femme de 28 ans, c’est aussi une sorte de cheminement spirituel. « Je venais régulièrement ici lorsque j’étais petite car mes grands-parents paternels sont du Croisic. Mes racines sont ici », indique-t-elle. La marée noire, Anaïs l’a vécue à travers le petit écran et confesse avoir beaucoup de difficultés à se rendre compte de son ampleur. « J’ai pensé à mes grands-parents, c’était un choc. Mais de loin, j’ai eu une vue fantastique de ça, c’était inimaginable ! », ajoute l’étudiante.

Anaïs s’est donc lancée à la rencontre de ceux qui l’ont vécu. « J’ai fait le tour des commerces, et en rencontrant des clients, ça fait boule de neige. Les gens ont été très gentils et ils se sont intéressés. J’ai aussi demandé de la documentation à la mairie. J’ai recueilli une vingtaine de témoignages », explique-t-elle. S’ils se livrent facilement, les Croisicais ont encore quelques problèmes à mettre des mots sur leurs souvenirs. « Les gens répondent beaucoup par métaphores, par images. Pour moi, c’est bien car ils font appel à leur esprit créatif. J’essaie de faire appel à tous leurs sens », raconte Anaïs.

Ainsi, sur le plan visuel, la jeune fille a été frappée par une expression récurrente : « C’était tout noir ! » S’ils ne sont pas toujours poétiques, les Croisicais cherchent des comparaisons visuelles : « De la bouse de vache », « du chewing-gum ». Il y a les odeurs aussi, et puis cette dame qui se rappelle quelque chose de singulier : « Le silence ! Pendant une semaine, on n’a pas entendu une seule mouette. Jamais je n’avais vécu un tel silence au Croisic ». Pour elle, la marée noire reste un véritable traumatisme, encore aujourd’hui. Les professionnels de la mer sont plus pragmatiques, mais là encore, Anaïs en a tiré des enseignements : « Il y a cet aspect de la nourriture souillée ». Un autre Croisicais se souvient avoir crié : « Le Croisic est perdu ! »

Pour Anaïs, son séjour au Croisic a été révélateur pour sa démarche artistique : « C’est l’opposition du noir et du blanc. J’ai pris beaucoup de photos sur la côte avec tous ces panaches blancs d’écume. Mais je n’arrive pas encore à mettre du noir sur tout ça. En plus, c’est arrivé en période de Noël, en hiver que l’on associe à la neige ». Au fil de son « enquête », elle évolue : « Les sentiments sont mêlés car j’essaie de croiser l’histoire collective avec la mémoire individuelle, et ma propre histoire ». Elle ajoute : « Je suis venue ici avec un projet, mais je m’adapte. Au bout du compte, je ne sais pas trop à quoi va ressembler ma création ». L’artiste promet toutefois d’envoyer une photo de cette œuvre qu’elle proposera aux regards d’experts de ses maîtres.

Elle conclut l’entretien sur une réflexion plus philosophique : « La marée noire n’est plus là, mais elle est encore présente dans toutes les mémoires. Mais le noir, lui, a-t-il vraiment disparu ? »

Précision : Anaïs Lelièvre a souhaité ne pas être prise en photo au moment de l’entretien pour ne pas perturber sa démarche artistique.

Auteur : Y.D. | 25/12/2010 | 2 commentaires
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Vos commentaires

#1 - Le 26 décembre 2010 à 17h49 par ghorbal, Nice
Je suis le Président de Glamarno International, du Groupe de Lutte anti-marée noire,Association créée en Février 2000, quelques semaines après le naufrage de l'ERIKA.
On s'est donc appuyé sur ce naufrage survenu 21 ans après celui de l'Amoco Cadiz de triste mémoire.
On a tiré beaucoup d'enseignements de cette marée noire et avons écrit des ouvrages spécifiques consacrés à la Lutte et à la Prevention contre les marées noires.Nous avons visité la presque totalité des sites polluésen Bretagne sud et au Croisic en particulier de Saint Nazaire à la Pointe du Raz.
Ensuite, nous avons étudié en détail la marée noire du PRESTIGE survenue en Novembre 2002 et avons fait des propositions au Gouvernement espagnol après avoir étudié tous les aspects du naufrage et de la marée noire sur les côtes de Galice que nous avons exploré au moment de la marée noire, pire que celle de l'ERIKA. Le CEDRE de Brest a procédé aux études et au traitement de la marée noire de l'ERIKA.
Bravo pour votre merveilleux travail, mais prenez votre temps.N'hesitez pas à vous renseigner auprès de nous. Je suis Capitaine au Long Cours.
Et meilleurs voeux de réussite qui procède d'une démarche passionnante et originale.Toutes nos amitiés.G.GHORBAL
#2 - Le 29 décembre 2010 à 00h51 par Anaïs Lelièvre
Merci pour cet article qui a aussi sens à participer au projet en rappelant cette marée à la mémoire. Le travail est en cours et se déclinera sous plusieurs formes. Pourrais-je avoir à nouveau les coordonnées (perdues là-bas dans la tempête) du journaliste ? Voici les miennes : anaislelievre(at)neuf(point)fr

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